Le grand Raid de la Réunion - 2003
Mise à jour le Mardi, 30 Novembre 1999 01:00 Mardi, 30 Décembre 2008 14:01
La diagonale des fous (130 km, 8000 m de dénivelé positif)
Jeudi : Nous sommes à la veille du Grand Raid de La Réunion, cette fameuse " Diagonale des Fous ". Le programme de la journée est simple : repos. Mais peut-on parler de repos alors qu'il y a encore tous les sacs à préparer pour les différents points de ravitaillements que sont Mare à Boue, Cilaos et Grand Ilet ? L'inventaire de la tenue de départ et du contenu du sac à dos à vérifier ou "revérifier" à moins que cela ne soit "re-revérifier"…
Mais on y arrive. Puis sieste, lecture, repos. A 18h00, une grosse assiette de pâtes et puis on va essayer de dormir. La tension monte.
Vendredi à minuit trente : Debout ! Cà y est ! Cela fait six mois que je m'y prépare et le dénouement est proche. Le départ du Grand Raid est pour 4 heures du matin. L'édition de 2003 est prévue à 130,6 km pour une somme de 8385 m positifs.
Dans le bus qui nous amène au départ, c'est le calme. Pas un mot. L'appréhension est palpable. Certains profitent des derniers instants de répit pour somnoler.
Cap Méchant, le départ est en vue. Il pleut. Les 2500 raideurs (Grand-Raid, Semi-raid et Mini-raid confondus) passent les contrôles. Nous sommes tous ensemble à attendre 4h00. Les minutes s'écoulent alors que des musiciens et des danseuses nous font patienter. Les cardiofréquencemètres s'affolent alors que nous sommes à l'arrêt…
Vendredi à 4h15 : Après 15 minutes d'attente supplémentaire, le compte à rebours est donné. 5.4.3.2.1. C 'est parti…La meute s'élance. Nous avons 16 km de route nationale puis forestière pour nous positionner avant le premier sentier qui grimpe tout droit vers le volcan. Toutes les 15 mn, ma montre sonne : c'est le signal pour boire au camelback. Au bout de 2 heures, il ne pleut plus et le soleil apparaît.
Vendredi à 9h30 : Après 30 km et 2300 m de dénivelé, le premier gros ravitaillement se présente avec une foule importante, c'est le premier qui soit accessible en voiture et c'est l'arrivée du mini-raid. L'accueil est extraordinaire, les spectateurs nous encouragent par notre prénom inscrit en gras sur notre dossard. Après le pointage, un bénévole est tout à mon service : il me remplit le camel-back, me propose des bananes, du coca, de l'eau. Des amis filment, des musiciens assurent l'ambiance. Le site est superbe avec la Plaine des Sables au premier plan. Une bouffée d'émotion m'étreint quelques secondes. Le Grand-Raid, c'est cela : une course de folie dans un site grandiose et avec une ambiance incomparable. Mais il faut partir vite car il reste 100 km et 6000m positifs.
Vendredi à midi : A Mare à Boue (50 km, 3070 m accumulés), beaucoup de monde à nouveau. Des vêtements secs m'attendent. Une assiette de quelques pâtes et j'attaque les chemins boueux qui mènent au coteau Maigre et au coteau Kervéguen. Le ravitaillement suivant surgit de nul part : j'y avale une soupe chaude. Après de rapides étirements, je commence la descente vers Cilaos, c'est la plus longue et la plus raide du raid. Surtout ne pas se laisser entraîner par la pente afin de ne pas se blesser. La rumeur de Cilaos nous parvient atténuée, c'est la mi-parcours qui approche. (C'est aussi la fin du Semi-Raid)
Vendredi de 16h00 à 16h45 : Cilaos (67.2 km, 4422 m accumulés). L'accueil est toujours aussi agréable et encourageant. Des amis sont là aussi. L'œil sur la montre, je prends un peu de riz, change de vêtements, en particulier les chaussettes avec crème anti-échauffements sur les pieds car je suis toujours inquiet quant à l'apparition d'ampoules. 45 mn plus tard, je repars vers le col du Taïbit en passant par le sentier des Porteurs et la Cascade Bras-Rouge. Le jour commence à tomber. Il me faut allumer la lampe frontale dans la montée du Taïbit. Il fait nuit mais ma progression ne ralentit pas.
Vendredi 19h30 : Franchissement du col du Taïbit (78.3 km, 5754 m accumulés). Au fil de la descente, je commence à entendre les tambours du ravitaillement de Marla. Reste à traverser le cirque de Mafate. La magie de la course de nuit est enivrante. De temps en temps, j'aperçoit les lampes tremblantes des autres concurrents. Je passe La Nouvelle rapidement puis monte par la Plaine des Tamarins vers le col de Fourche qui me permet de basculer dans le cirque de Salazie. Une longue et douce descente me mène jusqu'à Grand Ilet.
Samedi de minuit et demi à 1h30 : Grand Ilet (100.3 km, 6824 m accumulés). Un ami nous y attend. C'est un ancien Grand-Raideur. Il connaît la musique et s'occupe de tout. Il me guide vers le repas, récupère mon sac de ravitaillement, prend connaissance de mon état mental et physique. J'avale riz et lentilles, me change et le rassure : pas d'ampoules, pas de blessures et dans la tête, des rêves qui commencent à pouvoir se réaliser : moins de trente heures ! Il connaît bien la fin du raid et m'encourage à y croire. Etant dans les temps, je passe au massage.
Après 1 heure d'arrêt au total, je m'engage vers "le mur" : la Roche Ecrite. C'est la dernière très raide et très longue montée : on descend un peu puis après 2 km de route à 18%, le sentier monte de 1000m en 3km. Au-dessus de ma tête, quelques points lumineux, ce ne sont pas les étoiles mais les frontales de mes prédécesseurs ! Grosse galère que ce mur. Parti un peu vite, il me faut reprendre des forces à plusieurs reprises. Cela n'en finit pas. Et toujours pas des fameux câbles qui indiquent le dernier tiers. Après avoir dépassé quelques concurrents, ce sont eux qui me rattrapent, guère plus brillants que moi. Au bout d'un temps qui n'en finit pas, l'un s 'exclame " c'est bon, voici les câbles ", lui aussi connaît le repère.
La dernière marche est franchie en un peu moins de 3heures après avoir quitté Grand Ilet. 3 heures pour parcourir 5km et un peu plus de 1000 m ! Reste à parcourir 25 km et 400 m. Un coup d'œil vers le ciel : ce sont bien les étoiles qui brillent désormais au-dessus de moi. Une étoile filante traverse le ciel, je m'amuse à faire un vœu : trente heures !
Samedi 4h20 : Gîte des Chicots. Une soupe et la descente vers Dos d'Ane. Son nom est révélateur : c'est une succession de bosses et de trous (28 au total paraît-il) le long du rempart qui surplombe Mafate. Les oiseaux se réveillent et m'entourent de leur piaillement puis le ciel s'éclaircit. Il fait un temps splendide et la vue sur Malfate, derrière moi est magnifique. Arrive la bifurcation vers le Piton Fougère : quelques secondes au ravitaillement avant de filer vers ce Piton, soi disant dernière difficulté. En fait, c'est une succession de courtes montées et descentes (13 au total mais je ne les compte pas plus que les précédentes) avec des marches, tellement c'est pentu et glissant. Dernière descente vers le ravitaillement de la route forestière d' Affouches.
Quelques étirements avant d'en finir avec celle-ci. Et là, çà commence à se gâter, une douleur sur le dessus du pied droit et un début d'ampoule au pied gauche m'empêchent de courir à petites foulées. Tant pis, je marche. Trente heures ! Il faut arriver avant 10h15, il reste 13 km. Une paille mais à 5 km/h, il faut plus de deux heures…Continuer. Arrive l'épouvantable sentier des goyaviers qui n'en finit d'être trop long. Il monte et descend sans arrêt. Des concurrents que j'avais doublés me rattrapent à petites foulées. L'heure tourne et j'ai de plus en plus mal aux pieds. Enfin le radar météo du Colorado indique l'approche du dernier ravitaillement, il est 8 h 40, il reste 5 km. Reste la douloureuse descente vers Saint-Denis, elle serpente sur le coteau, quelques montées, des rochers, un casse-pattes. D'autres concurrents me doublent mais peu importe, les trente heures sont encore à portée. La ville est visible. La route de la Montagne. Encore 1 km. Les derniers lacets du sentier. Il est 9h45. Ca va le faire. Dernière ligne droite en courte foulée puis je retrouve les appuis et allonge le pas. Bientôt le stade de la Redoute. J'entre en courant (comme tout le monde d'ailleurs le fait à ce moment-là !) sur le stade pour les derniers 200 m. Ca y est, c'est bon. La ligne est proche. 9h56 : c'est fini… Le rêve devient réalité. On me remet la médaille et le T-shirt " J'ai survécu ", millésime 2003. Le chrono indique 29h41 ! C'est fini. Que du bonheur. Des amis sont là, des raideurs déjà arrivés et des accompagnateurs. J'atterris sur la planète. A la douche !
Cette course est vraiment hors du commun : certes, la longueur et le dénivelé total en font une course difficile mais les paysages traversés sont extraordinaires et très contrastés d'un bout à l'autre de la course : le Volcan aride et noir, le coteau Kerveguen détrempé et couvert de végétation suintante d'humidité, l'impressionnante Roche Ecrite, Dos d'Ane qui surplombe le cirque sauvage de Mafate…Et il ne faut pas oublier l'ambiance festive tout au long des nombreux ravitaillement : musiques, sourires, multiples encouragements, tous ces bénévoles apportent à la course son unicité.
Au final, je suis arrivé 172ème sur 1283 arrivants et 1971 concurrents au départ du Grand Raid.
Pitrack